EPISODE 7

« Féminisme un peu trop noir pour être honnête »

La conscience ne doit pas dormir.

Elle hiberne parfois, toujours confinée comme si nature était d’être sclérosée.

La conscience dort, et, trop souvent, se dissipe.

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Les définitions du féminisme sont nombreuses, comme les types de féminismes. De façon générale, le féminisme désigne un « mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société », une « tendance préconisant l’indépendance des femmes et l’amélioration de leur situation », « un ensemble de mouvements et d’idées philosophiques qui partagent un but commun : promouvoir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. » D’autres idées sont contenues dans ce mouvement : la sortie des rôles stéréotypés, l’affranchissement des codes culturels et sociaux « pour dessiner de nouvelles trajectoires et de mieux vivre ensemble », la parité et l’égalité des sexes.

L’une des définitions du féminisme souvent oubliée renvoie au lexique médical. En effet, dans cette acception, le féminisme est « l’état d’un individu de sexe masculin présentant des caractères de féminité plus ou moins marqués (développement des seins et des hanches, absence de barbe, finesse de la peau. » Etat attribué à « l’absence ou à l’insuffisance des sécrétions internes testiculaires. » Plus clairement : « arrêt du développement de l’homme (mâle) vers l’adolescence qui lui donne certains attributs de la féminité. »

Sans doute l’une des raisons pour lesquelles beaucoup d’hommes vivent – et ressentent – le féminisme comme une émasculation

INTRODUCTION

Dans la cosmovision noire, les hommes et les femmes ne sont pas des pairs, mais des paires.  Ce qui n’est pas la même chose. Leur égalité est déterminée par leur complémentarité qui préside aux naissances et aux renaissances. C’est notre ordre cosmique.

En situation de colonialité négrière, deux types de dysfonctionnement se sont installés chez les Noirs. Le machisme – ou hypertrophie du principe masculin – et le féminisme – hypertrophie du Principe féminin. En termes paradigmatiques africains, ces deux types d’hypertrophie sont des générateurs de chaos. Ce qui dans sa traduction moderne s’appelle : une guerre des « genres. » Et nous en constatons chaque jour les conséquences.

Il n’y a rien de plus étranger à la cosmovision noire que la fluidité des genres, le féminisme et les identités sexuelles alternatives. En société noire, l’individu ne fait pas ce qu’il veut, pour lui et pour lui seul. L’individu trouve sens au sein du peuple qui est l’unité centrale, le cœur, le noyau.

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La femme noire comme l’homme noir pensent que la notion de genre ou d’orientation sexuelle ignore le racisme – ou les sort du racisme classique pour souffrir de discriminations plus urgentes. Le pire, puisque notre conscience est confinée et notre mémoire sélective grâce à l’amour et au métissage (et au manque d’alternatives qui nous font préférer la servitude polymorphe à la liberté, un peu comme si aujourd’hui l’esclavage était choisi – comme l’immigration – et non plus choisi… Ce qui explique nos marginalisations et exploitations actuelles, au Maghreb, en Chine et un peu partout dans le monde, y compris là où cela devrait être impossible – ce qui dénonce notre incurie et notre absence d’introspection en Afrique où certains et certaines nous prédisant des hécatombes pandémiques tout en nous prenant (s’ils veulent bien être provocateurs) pour des cobayes.

2/

Par une épiphanie aussi soudaine qu’inattendue, toutes les femmes noires ignorant l’histoire, les cultures, les tragédies, les suprématies qui nous embastillent, se sont résolues en une seule féminité. Elles sont littéralement retournées à leur créatrice, la femme blanche : pour lui ressembler – et lui montrer notre totale vénération, on se blanchit la peau, on se défrise les cheveux, on pense comme elle, on aime ou on déteste comme elle, on parle comme elle, on la soutient, on lui donne du poids, on va chercher son appui, ses subsides et son… affection.

3/

Il semble que les femmes noires doivent tout leur malheur à un seul type d’homme : l’homme Noir. Tous les autres hommes paraissent ne voir en elles que beauté, amour et promesse de bonheur. Cet homme a été qualifié de super-prédateur par une ex-candidate à la Maison Blanche, Hillary Clinton. Cette représentation apparaît de façon récurrente dans bien des « fictions » filmées. Ce « statut » transforme l’homme Noir en maraudeur universel qui porte en lui dès la semence la puissance du mal. Les Noirs incarnent la masculinité toxique et les autres hommes ont un doux parfum de « Scandal », tendance « 50 nuances de Grey. » L’homme noir est donc le diable en personne. Non pas un homme noir, mais TOUS les hommes noirs. Qu’elles qualifient de… malédiction.

Il faut intensifier la guerre des genres dans notre communauté : jouer les femmes contre les hommes, et réciproquement. Détruire, déstructurer, éliminer même jusqu’à l’idée de famille noire.

Ainsi quand elles souffrent du mâle noir, elles appellent leurs sœurs de cœur à la rescousse (leurs alliées historiques contre les tribulations vécues tout au long de l’histoire) pour abattre ce misogyne atavique, incapable de saisir la grandeur de celle qu’il ne sait que faire souffrir. Elles n’auront aucun scrupule à collaborer dans la destruction sociale et économique du démon, noir bien entendu.

Si jamais un homme d’une autre incarnation leur fait du mal par… inadvertance, sans faire exprès ou à cause d’un légitime stress post-traumatique, elles sauront faire la différence entre cet olibrius et l’ensemble des hommes du même peuple. Vous connaissez la chanson : il y a des blancs gentils et les autres, bien que blancs, ne pourrissent pas la globalité lumineuse du corps sain et pur. Quand il s’agira de cet homme-là, la même énergie ne sera pas déployée, parce que la compétence de nos femmes est circonscrite au terrain de chasse qui leur a été imparti : l’homme de leur propre communauté. Tout esclave est limité dans ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire…  Les femmes noires sont les tirailleurs du féminisme racialement stratifié.

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L’une des croyances très répandue chez les femmes Noires est celle de la double exploitation : la femme noire serait exploitée en tant que femme et en tant que Noire. Ce qui est faux : les Noirs sont exploités en tant que Noirs et pas en fonction de leur « genre ». Historiquement, nos corps et nos esprits ont été – et continuent – d’être exploités de la même manière sans distinction de sexe. La question est : qui est à l’origine de l’exploitation des Noirs ? La réponse à la question explique que le mouvement féministe soit né en occident. En clair, celui qui exploite les femmes en tant que femme, et les Noirs en tant que noirs, est la même personne. Et cette exploitation est telle que même sa propre femme souhaite se libérer de lui. Et donc en toute logique cet homme ne devrait pas être le prince charmant de certaines femmes noires, au vu des barbaries historiquement factuelles que cet homme a commis – et commet – sur la globalité du Corps Noir.

Mais remettons l’histoire à l’endroit : comme nous le montre « Star Wars, épisode 9 », l’homme blanc et sa femme blanche constituent une Dyade. Un couple, spirituel et physique, liés par une Force (un Esprit) qui leur commande de régner et de diriger le monde, même à travers les étoiles. D’exercer un contrôle absolu sur l’univers. Le système est bicéphale et n’a pour nous aucune espèce d’affection ou d’amour, ni dans sa composante mâle, ni dans sa composante femelle. Cette Dyade est tout entière convaincue de son élection, de sa mission et de sa légitimité.

Les hommes noirs ont – et sont toujours – lynchés, comme l’ont été – et le sont – les femmes noires (voir : www.slate.fr/story/98273/lynchage-soldats-de-dieu. Nous prêterons attention au témoignage suivant : « Devant une foule où se trouvaient des femmes et des enfants…. Mary fut déshabillée, pendue par les chevilles, aspergée d’essence et brûlée à mort. Au milieu de son supplice, un homme blanc lui ouvrit le ventre avec un couteau de chasse et son bébé tomba à terre, poussa un cri et fut piétiné à mort. » Mais ne nous victimisons pas trop. Qui ne sait pas que les Noirs se font pire entre eux ? Oublions le passé – et même le présent – pour rentrer dans l’universel.

Nous savons aujourd’hui (grâce aux remarquables travaux de l’historienne Stephanie E. Jones-Rogers, enseignante au Berkeley College) que 40 % des plantations appartenaient à des femmes blanches. Il est démontré que sur ces lieux d’abattage, n’étaient célébrés ni la sororité universelle ni le féminisme militant. Que les sévices pratiqués – ainsi que l’exploitation exercée et subie – n’avaient rien à envier à ce qui se passait dans les plantations gérées par des hommes. Ce qui corrige – ou rectifie – l’imagerie trompeuse que beaucoup de Noirs ont (notamment à travers le cinéma qui aime romancer l’esclavage) sur les réels responsables de notre oppression – leur genre en particulier.

Le film « 12 years A Slave » montre bien l’accord plus que tacite qui unit la Dyade dans la négrophobie et le négrocide. (Ce film a valu un oscar à Lupita Nyong’o pour la récompenser de son rôle d’esclave maltraitée et violée par son maître blanc. Comme avant elle Halle Berry pour son rôle de Jezebel lascive dans le quasi pornographique « Monster’s Ball/A l’ombre de la haine. » Comme avant elle, Lisa Bonet – sans oscar cette fois – dans « Angel Heart », pour un autre rôle de négresse impudique adepte de « relations sexuelles agressives », souillée et assassinée par … son propre père blanc lié au … Diable pour la gloire et la fortune. Nous verrons comment va se débrouiller sa fille, Zoé Kravitz, dans le rôle de la petite chatte de Batman-Pattinson.)

Des images et des rôles conformes aux stéréotypes que nous sommes dans l’esprit des suprématies asiatiques, arabes et occidentales.

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Illustrons encore une fois par ce qui nous est servi sur nos grands et petits écrans, là où se construisent nos convictions, nos certitudes et aussi nos servitudes. Quand un Noir dit d’aller voir un film (ou d’acheter une création) parce qu’ils émanent de Noirs, il est dit communautariste, sinon raciste. Mais quand une femme demande d’aller voir un film ou de consommer une création estampillée « féministe » ou mettant en avant une de ces identités alternatives qui priment sur les identités naturelles, cette exigence est qualifiée de … progressiste.

Le féminisme qui nous est montré fonctionne sur le principe de la substitution et non sur celui du saut civilisationnel qualitatif. Avec préservation intégrale de tous les miasmes raciaux asymétriques et des mécanismes d’oppression, notamment celui de la dévolution du pouvoir. Une mise en scène où les femmes de toute les couleurs – placées sous l’autorité et la supériorité naturelles de la femme blanche – imitent de façon mécanique les hommes dans leur virilité, empruntant leurs corps bodybuildés, leur dégaine, leur langage et leur humour graveleux.

Nous avons déjà évoqué le cas de « Star Wars » (la nouvelle trilogie, des épisodes 7 à 9.) Avec Déesse Rey et son intimité innée avec la Force. Nous avons « Avengers : Infinty War et Avengers : Endgame. » Avec Okoye qui rend des comptes à la Veuve Noire. Avec Captain Marvel unifiant la Force Femme contre Thanos. « Terminator Dark Fate. » Sarah Connor et Grace protègent la fragile latina, Danni Ramos, tout en allant rendre visite à un T-800 qui change des couches et fait des cocktails. « Charlie’s Angels », avec l’’internationalisation de l’Agence Townsend qui diversifie les Anges et les Bosley, tout en restant conforme à l’esprit de préséance raciale : Sabrina Wilson et Elena Houghlin ont plus « d’épaisseur » que Jane Kano, l’ange noir à la peau (très) claire.  « Birds of Prey » Avec Harley Quinn qui, aux commandes de son crew représentant la Femme Universelle Multicolore (Huntress, Black Canary, Renée Montoya et Cassandra) éradiquent des masculinités symptomatiquement dégénérées (Black Mask et Victor Zsaz.) La palme d’or de cette caricature va à la série « Gotham » avec Barbara Kean, sa copine colorée Tabitha et leur clique délirante de guerrières de l’ombre qui ouvrent un « club » où les hommes ne sont tolérés que de manière limitée. Ce qui est intéressant, ce sont les trajectoires de Tabitha et de Barbara : des deux, seule la basanée est dans un engagement interracial. Toutes les deux vivent des relations avec des hommes blancs, et malgré quelques litiges, les aiment profondément au point de vouloir tuer (et de tuer) pour eux. L’amour qu’elles ressentent pour ces hommes, même les plus laids (Butch, l’amour de Tabitha), est supérieur à leur propre vie. Tabitha est d’ailleurs tuée par l’homme blanc qui se prend pour un pingouin, mais il a une raison légitime :  la femme de couleur a tué sa mère, une femme blanche (et si ces hommes et ces femmes ne sont pas blancs, j’aimerais bien savoir ce qu’ils sont.)  Comme pour les hommes noirs qui transgressent, la sentence est la mort. Quant à Barbara Kean, ancienne égérie féministe, morte et ressuscitée par Ras A Ghul, elle (re)devient une femme féminine lorsqu’elle découvre sa grossesse miraculeuse issue de sa relation avec Jim Gordon, tombeur de ces dames. Le commissaire Gordon est un polygame putatif, dont l’une des femmes est bistrée (Lee Thompkins), incarnée par l’actrice Morena (en espagnol : brunette, bronzée, basanée, foncée, ou petite noire) Baccarin. Comprenant qu’elle doit assurer la survie génétique de sa race, elle change de vie, se rapproche de son homme, se met sous sa protection et donne naissance à… une petite fille, Barbara Lee Gordon, future Bat-Girl, puis Oracle.

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En réalité, il y a bien une double exploitation, une exploitation dyadique : celles exercées par l’homme ET la femme issues des suprématies qui nous conditionnent et nous anéantissent. Sans oublier la transposition-tropicalisation de cette exploitation par les « endo-colons » qui ne se conforment pas – ou plus – aux règles maâtiques et ankhcestrales.

CONCLUSION

Ni le féminisme, ni ses versions exotiques (féminisme noir ou afro-féminisme) ne sont des choix de combat décisifs pour libérer notre Peuple. Si évidemment cette liberté totale et inconditionnelle est la fondation réelle et l’objectif à atteindre. Féminisme noir et afro-féminisme qui pourraient s’émanciper de cette curieuse homogénéité de la Femme en changeant de nom et de paradigme, pour retrouver des options propres, des définitions et des actions autonomes. Proposons (même si Mwasi, c’est pas mal) : Aset et NebetHout. Les Descendantes d’Hatchepsout. Les Héritières de Kimpa Vita. Les Filles de Madikizela Mandela. Noire est mon Exaltation et ma Mission.

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Nous avons besoin d’une « Afrothérapie. » En gardant à l’esprit, un principe que nous comprenions parfaitement lorsque nous étions en pleine possession de nous-mêmes : celui de la Maison. Où que nous soyons, nous sommes enracinés dans une Maison plus grande que celles qui nous ont accueillis – ou que nous nous sommes acquis. Les chambres d’une Maison ne sont pas des unités séparées de la Maison. Elles en sont la richesse, le cœur et l’âme. Elles ne sont pas étrangères à la Maison. Elles lui sont liées par les fondations. En somme, ces unités sont le multiple de l’Une, qui est la Maison.

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Que dis-je exactement ? Que le féminisme et les identités alternatives ne sont pas bien ? Non. Ce que je dis ne souffre d’aucune ambigüité : qu’est-ce que, nous, Noirs, avons à voir avec le féminisme et les identités alternatives ? Et encore plus exactement : depuis plus de mille ans – notamment les 500 dernières années – est-ce notre absence de féminisme ou de reconnaissance des « orientations » alternatives qui nous ont valu Maafa-Yovodah (la somme de toutes nos tribulations ?)

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Quelles sont nos priorités ? A partir de qui – et à partir d’où -pensons-nous ?

Car la conscience ne doit pas dormir.

La conscience repose, et parfois s’éparpille.

Un peu trop souvent : infantile, elle s’égaie sans constance, engourdie, comme lestée. Elle coule au plus profond des marais putrides qui habite les démocraties fangeuses.

C.K

Bande-son de l’article :

Queen Latifah : « UNITY »

Susanna Baca : « Negra Presuntuosa »

Brenda Fassié : « Good Black Woman »

Angélique Kidjo : « Bahia »

Maciré Sylla : « Massa »

Pour aller plus loin dans la prise de conscience :

Naturi Ebene : « A quoi servent les afro-féministes ? » (Chaîne : Naturi Ebene)

Rekhmiré Coovi Gomez : « Black Feminism : Anthologie du féminisme Africain-Américain » (Chaîne : Tamery Sematawi Maât)

Marilyn Kai Jewett : « Women’s History Month : The Lynching Of African American Women, 1870-1957) »

Saliou Samba Malaado Kanji & Fatou Kiné Camara : « l’union matrimoniale dans la Tradition des peuples Noirs », L’Harmattan, 2000

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